Faut-il investir dans les timbres rares ?

Pour tenter de répondre à cette question, nous allons d’abord considérer le timbre de façon désincarné, c’est-à-dire comme un simple support d’investissement. Imaginons donc qu’un investisseur veuille diversifier son patrimoine et se pose la question d’investir dans les timbres-poste.
La philatélie est vaste, que choisir ? On suppose bien évidemment que notre investisseur dispose de beaucoup d’argent et que des achats ponctuels spéculatifs d’une centaine d’euros ne sont pas son objectif. Notre investisseur ne s’intéresse pas à la philatélie; il ne veut donc pas écumer les salons et faire des recherches pour trouver « l’affaire du siècle ». On suppose également que quelqu’un lui a dit qu’il ne fallait surtout pas acheter un stock de timbres neuf tout juste sortis des presses de La Poste. Notre investisseur achètera donc des timbres rares.
Un investissement rentable à la portée de tous ?
En nous basant sur cette hypothèse, voici quelques observations générales sur le marché philatélique :
– Tout comme sur le marché de l’art, on évitera soigneusement de se « faire avoir ». A défaut de développer des connaissances poussées permettant de reconnaître les vrais des faux, les timbres réparés, regommés, les plis altérés, les défauts invisibles pour un œil néophyte, les variétés à éviter, notre investisseur ne pourra se tourner que vers des marchands renommés afin de réduire ce risque au maximum.
– Les timbres seront donc achetés dans des ventes aux enchères sérieuses ou à des tiers de confiance. Dans le premier cas, il faut savoir que les frais de transactions sont très importants. Il faut compter 15% de commission, plus les éventuels frais de transaction (si la maison de vente est à l’étranger) les frais d’envoi et même, dans certains pays, la TVA ou son équivalent. Évidemment, il faudra s’acquitter des même frais à la revente (qui pourront bien sûr être négociés en fonction de la valeur des pièces offertes). Il est donc raisonnable de compter au moins 30% de frais. Sur un placement de 10 ans, ces frais s’élèvent donc à 2,7% par an ! Les timbres sont fragiles.
– S’ils sont mal conservés ou mal manipulés, ils peuvent être abîmés. Cette considération n’est pas à prendre à la légère; le moindre petit pli sur un timbre lui ampute facilement 50% voire 90% de sa valeur. Notre investisseur devra être particulièrement vigilant sur ce point :

    • Dans la même veine, il faudra assurer la collection de timbres, ou la garder à l’abri dans un coffre-fort. Cette assurance a un coût qu’il faut prendre en compte. Un bien immobilier sert à loger quelqu’un, le cuivre sert à faire des câbles, une éolienne à produire de l’énergie, le riz à nourrir l’humanité mais le timbre ne sert strictement à rien, sinon à nous renseigner sur le passé. Au delà de sa valeur en tant qu’objet de collection, objet d’art ou objet de conservation du patrimoine de l’humanité, le timbre n’a aucune valeur intrinsèque.
    • Les timbres véritablement rares sont peu souvent échangés; le montant de la transaction dépend donc dans une proportion non négligeable de conditions sur lesquelles l’investisseur a peu de contrôle : conditions économiques difficiles ponctuelles, deux acheteurs qui se disputent la même pièce lors d’une vente aux enchères, forte variation d’une devise par rapport à une autre, etc. On pourra par exemple consulter le billet sur les premiers timbres d’Hawaii et constater que le 5 mai 2009, les quatre premiers timbres de cet ex-pays ont été vendus 265 000$ alors qu’en 2007 ces quatre même exemplaires avaient été échangés pour 423 000$ soit une perte sèche de 158 000$ en deux ans. En comptant 15% de frais à l’achat et 10% à la vente, on a une perte nette de près de 250 000$.
    • La philatélie obéit à des modes. Par exemple, les erreurs de fabrication ont aujourd’hui la cote. Qui pourra dire si ce sera encore le cas dans 20 ans ?
      Contexte économique et culturel du marché philatélique

Fort de tous ces constats, nous sommes maintenant mieux armés pour prendre une décision. Cependant, il ne faut pas négliger certains aspects plus psychologiques liés au marché philatélique. Il n’aura échappé à personne que le courrier de particulier à particulier est en baisse constante (sauf possiblement les colis depuis la diffusion de masse d’internet) et qu’il est très rare de recevoir chez soi des enveloppes timbrées parmi le courrier. Alors qu’il y a cinquante ans les amoureux s’écrivaient une lettre par jour, le téléphone puis l’internet et le téléphone portable ont tué presque toute correspondance écrite traditionnelle.
Quelle importance ? Le nombre de «collectionneurs spontanés» diminue. Les jeunes collectionnent des cartes à jouer qui sont bien plus amusantes que des timbres-poste, collectionnés par leurs aïeuls. On observe depuis plusieurs années la création d’une importante distorsion sur le marché philatélique. Les timbres communs ou moyennement rares perdent de la valeur; tout comme les timbres en condition moyenne. Seuls les grandes raretés et les timbres exceptionnels progressent. D’où une difficulté supplémentaire pour l’investisseur : choisir des exemplaires parfaits pour être «du bon côté de l’élastique» de la distorsion des prix. Un exemple : il n’est pas rare (en particulier aux États-Unis) aujourd’hui d’avoir un facteur 100 entre la valeur d’un même timbre, l’un en parfaite condition et l’autre en mauvaise condition. Comment investir sereinement dans un tel contexte ? Je ne le sais pas, et de plus je suis bien incapable de prédire l’effet général de la raréfaction des collectionneurs sur l’évolution de la philatélie.
Conclusion : Investir dans les timbres, non. Faire de la philatélie une passion, y investir son temps, oui, bien sûr ! C’est probablement la seule façon d’ailleurs d’en tirer profit, à moins… d’en faire commerce !
Par Svart Riddare 

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